Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

jeudi 10 décembre 2015

La langue en exil

J'aimerai revenir sur la question de la langue.
Encore.
Langue maternelle, langue paternelle, langue choisie, langue aimée, langue pensée, langue parlée... langue rêvée, langue.
La langue.
Qu
i nous précède.

Heimatsprache, Vaterland... Tout se résume dans ces deux mots ; Peut-être ?
Féminin/Masculin mais jamais neutre.

Alors pourquoi la langue encore ?

Je pense la plupart du temps en allemand, je rêve en allemand, je parle français, la plupart du temps.

ll m'arrive souvent de passer d'une langue à l'autre sans le moindre problème, ainsi quand je me rends à l'Est je mélange toutes ces langues familières, elles vont et viennent, se tricotent et s'assemblent dans un canevas étrange et singulier mais jamais étranger.
Lors de notre dernier séjour en république Tchèque, nous promenions mon fils et moi nos petits chiens sur une grande aire d'autoroute où des gens piquent niquent et s'amusent. Nos regards se croisent, on se sourient, on me parle, je réponds, émaillant mon discours allemand de russe, polonais, slovaque.... à l'intention de mes interlocuteurs. En quelques minutes, nous parlons de tout, de la France, de là où je viens, leur ville, pays, voyages, de films, de leur vie, de l'Est, de l'Ouest.. Charleville, Rimbaud, Paris, La mer du Nord,  l'Atlantique, Varsovie, Berlin, Riga...Patricia Kass... Naturellement...

Mon fils surpris me dit : "Mais tu comprends ce qu'ils te disent ? Et eux aussi ! "
Je n'avais pas remarqué. Puisque c'était. Naturel.
Ce bain de langue est le mien depuis toujours, depuis mon enfance où tous ces sons, ces sonorités, cette musique est mienne... Où ces mots colorés dansent et chantent. Crient et pleurent aussi parfois, souvent.
Ce ba
in de langue est en moi. ll est moi et je suis lui, je suis faite de lui. ll m'a façonné ainsi.

Langue et langues, étranges et s
ingulières mais jamais étrangères.

Se prendre et se déprendre de la langue, de sa langue. Dire, penser, rire. Où se loger, où loger cette langue là, celle qu'on fait sienne, celle qui advient parfois malgré soi, celle qui sonne, vrai, juste ou faux. Celle qui résonne mais ne raisonne pas ou plus... Parfois

Vide, béance, creux, vertige, angoisse, peur.
Naufrage, dérive.

C'est ce plus, pire que le pas, car le pas implique qu'il n'y a jamais eu.
Ce plus chargé de peine et de regret je ne sais plus ne vaut pas je ne sais pas, je n'ai jamais su, car un jour, oui, j'ai su, aujourd'hui, ce savoir là n'est plus ; là, à ma portée, à ma mémoire, à ma disposition
Peut-être qu'il est resté sur le bout de la langue.
Mais ne sort plus. Reste coincé au fond de la mémoire, indisponible, zappé... Escamoté, perdu ?
La langue, sa langue, celle qui est sienne bien avant sa naissance fait alors faux bond, se cache et ne se montre plus, ni à voir, ni à entendre, elle ne sonne plus, ne se sait plus
La langue est en exil, l'être est en exil, de ses mots, de ses pensées et de ses rêves en exil de lui même, le voilà qui cherche alors ses mots, cherche à traduire la langue adoptée dans sa langue génitrice
Affreux cauchemar dont on voudrait, dont on espère se réveiller
Je ne sais plus comment on dit ! On qui est ce on ?
On dit ? quel est le mot...
On cherche au fond de soi, on convoque ses souvenirs, les images, on fait l'effort
L'effort de la langue, de soutenir la langue, qui ne vient plus, qui n''advient plus naturellement. Arrive alors ce moment de flottement, d'entre deux, d'entre d'eux où la langue s'effrite, part en miettes..
Elle s'exile, rentre en elle, ou repart là où le sujet exilé l'a laissé, mais ne l'a pas laissée une bonne fois pour toute, en la convoquant à chaque instant, en la réanimant toujours, en la gardant vivante, ne voulant pas faire de cette langue lointaine une langue morte.
La langue s'en va, "tu n'as plus besoin de moi" peut-être qu'elle se dit ça, peut-être qu'on se dit ça ? Peut-être ? Ou pas.

Puis peu à peu, je sens les mots qui me lâchent, un peu comme à Buchenwald où il ne m'était pas supportable d'entendre, où je ne pouvais dire mot, où je ne pouvais prononcer de mots en cette langue qui me semblait indécente. Une insulte au passé, au présent mais aussi à l'à venir
Comme si la langue portait l'histoire de tout un peuple ? De toute une nation ? De tout ? Mais de tout quoi ?
Comme si un homme avait à lui seul falsifié la langue. La faisant sonner faux, la chargeant de toute la violence et l'horreur qui nous fait frémir... ?
Comme si ? Faut-il tomber dans ce piège là ?

Puis peu à peu, je sens les mots filer et venir à leur place d'autres mots, presque naturellement, ceux de cette langue, nouvelle et pourtant si ancienne, oubliée, mais survivante comme le peuple qui l'a fait renaitre.
Langue familière aussi pourtant qui m'est advenue en rêve.
Le rêve raconté à Esther.
Toda.


Je me souviens aussi de ces mots, la langue de Goethe et d'Höderlin est douce à entendre et elle m'a bercée comme ces mélodies slaves, sons qui m'arrachent le coeur et me déchirent l'âme, comment ne pas pleurer, comment ne pas vibrer en entendant la plainte de tout un peuple dans quelques notes de musique ?


La langue est au sujet ce qu'est son histoire. A lui de la mettre en mots, de l'articuler, la faire danser et pleurer au rythme de son désir, de son chagrin, de sa joie et de sa peine.
A lui de trouver ces mots et ses mots pour dire l'amour et tâcher de faire taire la haine.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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