Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

jeudi 3 septembre 2015

Camille classe 14

Camille, portrait du Front 1

La vie de Camille tient toute entière ou presque dans ce petit paquet, une grande enveloppe pliée en deux contenant deux actes, deux télégrammes et un livret militaire.
Une carte ; celle de ceux qui le l'ont fait parvenir, me confiant ce destin, et sa mémoire.

La vie de Camille, ce qu'il en reste.
Il reste aussi une tombe enfouie sous les herbes dans le cimetière d' un village de Vendée... Deux dates, Intervalle bien courte qui contient une vie, une petite vie, un bref passage sur cette terre, bref, trop bref, quelques années, seulement.

Il ne reste rien, plus rien de son histoire. Quelques traces cependant, qu'il va nous falloir lire.
Lire entre les lignes mais sans rien inventer. "C'est comme ça le travail de l'historien."
Quelques années plus tôt mon fils aurait ajouté à cette phrase : "hein maman"...
Maman, je pense à celle de Camille, son dernier enfant. Son seul fils.
Maman...
Camille, j'ai reçu tout çà il n'y a pas bien longtemps, c'est un peu par hasard que je t'ai trouvé, que j'ai trouvé ton nom sur une liste, celle des Morts pour la France. Ton nom a retenu mon attention, ton âge, ton village.
Tu es né le 24 mars 1894 dans cette commune où tes parents sont venus s'installer. Jean et Marie tous deux de Vendée. Ton père était chef cantonnier, tu avais deux soeurs, et une nièce, qui avait le même âge que toi...Juliette, vous avez semble t-il été élevés ensemble, d'après les recensements  de 1901 et 1907. Juliette la fille de ta soeur ainée, qui semble être partie loin de son village, travailler à la ville, elle a confié sa fillette à ses parents. Elle a eu plus de chance peut-être que son frère, ou demi-frère né 5 ans plus tard, en 1900 abandonné, dix jours après sa naissance aux bons soins de l'Assistante Publique. Ils n'ont pas eu la même vie. Comme la vie est cruelle parfois ! Mais pour qui ?
Tu es né là et tu as déménagé avec tes parents, souvent, puis ta famille s'est fixé dans un village de Vendée, la carte m'indique que ces villages ne sont pas très éloignés, que le berceau et la terre de ta famille est là.
C'est donc dans ce village, dans cette maison que tu as grandi, joué, allé à l'école, c'est là que tu as vécu les quelques années de ta trop courte vie. Qu'y as tu fait ? Qui étaient tes amis ? As tu dansé sur la place du village ? Je n'ai d'images que celles des cartes postales de l'époque, le château, l'église, la gare où tu as pris le train pour partir à la guerre, celle là même où ton père est parti te chercher. Un village tranquille, comme tant d'autres en ce temps là, avant cette folie, ce Grand Ravage.
Image pour se représenter, imaginer, se dire que tu étais là que tu as vu ce que je vois, il y a de cela plus d'un siècle...
Nous ne savons pas, et personne ne peux plus nous dire, nous raconter. Qui se souvient de toi ?
Même les Archives ne sont pas bavardes, ton livret militaire ne nous apprend pas grand chose.
A 20 ans tu t'es présenté comme ceux de ton age au chef lieu de ton canton "jeune soldat affecté au service armé" à la subdivision de Fontenay le Comte, registre de matricule du recrutement. Te voici flanqué d'un numéro et affecté au 2°RIC avec le grade de Marsouin...
Toi qui était menuisier ! Pauvre enfant. Que la guerre est cruelle !

Je n'ai pas de photos, pas de quoi mettre un visage sur ton nom mais seulement quelques indications. Pas très grand, tu avais les cheveux chatains clairs et les yeux bleus clairs....
Affecté à la campagne "Allemagne, du 15 décembre 1914 au 20 mars 1915" C'est court, comme ta vie, Car celle ci s'arrête là  : le 20 mars 1915 à l'hôpital du Val de Grâce..4 jours avant ton anniversaire. Douleur. Infinie douleur d'une mère.

Mort de maladie, laquelle ? Nous ne savons pas, contractée à la guerre, il y en a tant, il nous font donc attendre le dossier médical si toutefois il contient quelque chose.
Mais ce quelque choses pourra t-il changer quelque chose ? L'absurdité de ta mort par exemple ? Ton départ à 20 ans pour une guerre qui ne te concerne pas ? Une guerre qui concerne qui ? Comme toutes les guerres !
Puis ces télégrammes, ultimes messages, disant que tu es au plus mal, que ton état de santé est inquiétant. Vieux papiers froissés et jaunis. Une écriture élégante informe ta famille que tu "donnes de graves inquiétudes " le 14 mars 1915. 27 mots pour dire que ta vie ne tenait plus qu'à un fil.
Souffrais-tu ? Qui attendais-tu ? A qui pensais-tu ? Questions que l'historien se pose même s'il n'a pas de réponses.
Puis un autre, envoyé par ton père le 20 mars, la même écriture annonce "avons fait bon voyage Camille décédé avons intention de ramener le corps, si oui, envoie cinq cents francs par mandat télégraphique, un nom et une adresse". 31 mots.
Il faut croire que oui, tu reposes dans ton village.

Tu reposes parmi les tiens, au creux de la Terre de Vendée. Mais tu n'avais pas demandé à partir si vite. Partir comme ça
Camille ils t'ont volé ta vie, tu n'as pas eu le temps, celui de vivre, d'aimer, de danser, de chanter, de rire... De voir et regarder. Tu n'as eu le temps de rien.
Tu as à peine eu le temps de voir cette tuerie, ces massacres, et c'est presque tant mieux, car nul enfant de ton âge n'a pu échapper à cette folie
On est toujours trop jeune pour mourir...
Pas à 20 ans ! Pas de chance d'avoir 20 ans en 1914....C'est une condamnation à mort. Mais qui pouvait savoir ?

Je pense à ta mère, à ton père, je pense à ce chagrin. Je pense à leur chagrin.
Qui parle de toi aujourd'hui ? Qui pense encore à toi ?
J'ai promis de parler de toi. Pour qu'on ne t'oublie pas.
Mon fils et moi avons décidé d'aller à la rencontre de ces hommes tombés trop jeunes, dans un combat qu'ils ne comprenaient pas, dont ils n'avaient que faire. Nous nous sommes donnés ce rendez-vous là ; avec eux. Ce devoir de mémoire ; mettre un nom et une histoire sur des numéros de matricule. Rendre à ces hommes l'humanité qui leur a été confisquée. Ravie. Prises.

Raconter et faire savoir qu'avant de partir sur les chemins boueux et sanglants, vous aviez une vie, une maison, une famille, un métier, une histoire. Vous. Vous avez été et vous êtes toujours. Vivants dans nos mémoires.
Tant que nous parlerons de vous. Vous serez.
Nous avons ce devoir là, je crois. Ce centenaire, ce rappel au non oubli à quoi servirait-il sinon ?
Vous n'êtes pas non plus seulement ce nom gravé sur le monument à la gloire des Morts. Des Morts au Combat.
Tristesse et douleur infinies...

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Sacha Dusch, Etudiant.

NB : Nous nous sommes donnés pour mission d'aller à la rencontre de ces hommes quelles que soient leur nationalité, religion, orgines. Ces hommes de 14-18.




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