Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

jeudi 30 juillet 2015

Deuil

Monsieur L ne sort quasiment plus, il ne parle presque plus non plus, il est en deuil.
Il ne "fait pas le deuil", son deuil comme on dit, comme il est coutume de dire
Us et coutumes nous y voilà, faire son deuil est naturel, normal, socialement obligatoire. Autrefois (que ce mot est beau tout en étant chargé de lourd poids de ce passé qu'il convoque) il y avait un protocole, des vêtements, le blanc, le noir, le violet....
Menus détails qui montraient à voir que celui qui arborait un ruban noir avait perdu un être cher ou pas, mais avait perdu "quelqu'un " de plus ou moins proche.
Un délai qui disait, et qui posait un cadre, celui du deuil. De ce moment particulier, de cette rupture, de cette souffrance.
Un état singulier, une parenthèse, un arrêt temporaire du temps amenant une temporalité singulière.
Il était alors nécessaire de vivre ce temps, de se tenir à l'écart du monde pour  vivre sa peine et son chagrin. Une mise en retrait. De soi et des autres.
Puis de revenir au monde, à ce monde qui malgré la perte continue d'avancer et d'y reprendre sa place  sa vie, le cours de la vie
La vie a toujours le dernier mot. La vie doit toujours avoir le dernier mot pour le survivant, puisqu'il est vivant.

Monsieur L. est en deuil depuis longtemps maintenant dit-il, il refuse de faire son deuil, ajoute t-il, il n'a qu'une seule idée en tête : que tout soit comme avant.
Qu'il revienne
"Je ne suis pas dans le déni, mais je vais me réveiller"
Alors il attend la fin de son cauchemar
La vie qu'il mène n'est pas réelle, il manque quelqu'un.
"Pourquoi lui et pourquoi suis-je encore là ?
C'est injuste
J'ai renié dieu qui n'a pas entendu mes prières, mes suppliques, mes offrandes, mes sacrifices, je lui ai offert ma vie en échange de la mienne, il n'en n'a pas voulu, c'est donc qu'elle ne vaut rien, ma misérable vie que je dois trainer... Jusque quand ? Et pourquoi ?"
Monsieur L souffre, pleure, ne fait plus rien et attend.
Il attend qu'IL revienne
Pourquoi ne revient-il pas ?

Alors il questionne, interroge. Mais reste seul, d'ailleurs, précise t-il, s'il ne vois plus personne c'est aussi que plus personne ne veut le voir
"Je sens bien, je vois bien les gens sont gênés, ils ne savent pas quoi me dire, je peux lire ce qu'ils pensent, "il nous emmerde avec son chagrin, son défunt, ses souvenirs, c'est bon là maintenant, il faut qu'il se ressaisissent, qu'il se bouge, qu'il avance, on n'en peut plus de ces histoires, de ces regrets, de ses rappels, cela fait 10 mois, 11 mois.."
Macabres anniversaires ! Que le mot est mal choisi pour ce temps, ce moment où la douleur se ravive, où la cicatrice à chaque fois se rouvre.
Faille immense, gouffre de souffrance, vide terrible et terrifiant
Il me demande si le temps atténue
Si ce même temps ramène l'être perdu
Si ce temps tue.
Que fait le temps ? Le temps fait-il ? Fait-on ? Défait-on le temps...

Deuil ! Perte, perdre, être perdu par la perte, cette absence présente, tellement présente qu'elle en devient obsédante, trop présente car l'être n'étant plus ne peut remplir ce vide laissé par son absence
Cette douleur montrée à voir à l'autre, qui n'en veut plus, qui en veut bien un certain temps, le temps qui lui est supportable et qui lui devient si vite insupportable. Qui en a bien voulu et qui n'en veut plus, mais ne sait pas le dire, mais ne peut pas le dire car ces choses là ne se disent pas, alors il se situe dans l'évitement, plus confortable et rassurant. Ce deuil dont l'autre ne peut plus, n'a plus les mots pour réconforter, panser, sans penser que lui peut-être, un jour peut se retrouver là, avec cette peine qu'il ne pourra colmater seul et ira alors mendier un peu de réconfort à l'autre, encore un, un qui sera l'autre et  qui ne pourra pas, ne voudra pas, ne pourra plus, ne voudra plus, car n'aura pas et plus les mots.
Mais quels sont les mots pour ces maux
Il n'y en a pas, seul alors le silence.
Pourra

Le deuil est insupportable car il projette et jette celui qui ne le subit pas dans les abysses d'un possible qu'il ne peut mettre en images et en mots.
Inimaginable et indicible
Hors champ.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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