Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

samedi 27 juin 2015

Trauma, trauma, post trauma, trop mal

Marco* est aux dires du service ; infernal il mène la vie dure à tout le personnel de jour et de nuit, il ne veut pas être là, veut partir, hurle qu'il n'a rien à faire dans un hôpital normal avec des gens qui ne comprennent rien.
Il me faut le voir... ! A défaut d'arguments, on ne sait jamais "tu pourras peut-être en tirer quelque chose" soupire le chef de clinique.
Notre première rencontre est explosive après une bordée d'injures il m'envoie me "faire foutre"
Je lui explique que ce n'est pas à l'ordre du jour, que mon patron m'a demandé de le rencontrer et qu'à l'hôpital c'est comme à l'armée on ne discute pas les ordres.
Il est surpris "vous voulez une clope ?"
"Je ne fume pas, mais si vous voulez on peut prendre un café... "
Ok donc pour le café et comme par bonheur ce jour là il fait doux, nous descendons dans le parc pour s'asseoir sur un banc
ll tient son café, sort une cigarette, se tient prostré.. je suis désolé pour tout à l'heure !
Ce n'est pas grave..
Je lui demande pourquoi cette colère, ce comportement. Marco a été transféré dans le service pour des examens... Dés qu'ils seront terminés il rejoindra l'unité spécialisée où il est actuellement soigné
Je lui explique ce qui lui a déjà été dit, mais qu'il n'a pas voulu entendre
Ici ils ne peuvent pas comprendre!
Comprendre quoi ?
Tous ces trucs bizarres, ces images, ces bruits, ces saloperies qui reviennent tout le temps, je ne suis pas fou, pourtant je les vois, je les entends, je suis toujours là bas, un peu, pas là, pas en entier... "
Il pleure... sursaute au moindre bruit, raconte, met des mots sur ce qui est hors champ de notre réel, sur ce qui dépasse le champ de l'horreur imaginable, représentable.
Met des mots, murmure des maux. Indicibles traumatismes, éclats et torpilles qui chamboulent l'esprit, le tordent, le déchirent, l'éclatent, le pulvérisent, l'écartèlent au quatre coins du champ des possibles
Nous ne sommes plus dans le réel, dans ce qui fait de nous des êtres, des sujets de l'Humanité, nous sommes au coeur d'un monde qui n'en n'est plus un.
Pourtant ! Marco est un homme, un sujet de cette Humanité et c'est pour cela qu'il a mal, qu'il est mal et qu'il souffre, c'est pour cela qu'il ne peut plus vivre avec ça, avec cet im monde là...
C'est l'enfer qu'il dit là... L'enfer qu'il a vécu. Qui l'a bouleversé, l'a cassé, l'a bousillé.
"C'est vrai ce que vous dites, personne ici ne peut imaginer ce que vous racontez. Personne, car personne ne peut être ni se mettre à votre place
Personne ne peut se représenter ces images là, car elles ne sont pas imaginables
Mais les entendre oui, les écouter oui....
On peut au moins essayer.
Il peut en parler...
Trauma, traumatisme. Traumatismes. Marco souffre de ce qui se nomme post trauma, choc post traumatique, stress post traumatique, ce que Freud appelait Névrose de guerre, ce n'est pas nouveau. Mais on n'en parlait peu, ou pas... Ces blessures de l'âme apparaissent dans la littérature depuis l'Antiquité, depuis que l'homme existe aussi sûrement
Elles sont le résultat de sa folie, de son désir de détruire, de saccager, sans tuer. Sans tuer tout à fait. En faisant pire... En tuant à petit feu, en rongeant lentement l'âme et l'esprit
Des histoires  comme celle de Marco j'en ai hélas entendu trop, j'en entends encore trop... Ces souffrances et ces douleurs frappent sans répit, n'importe quand, n'importe comment. Elles détruisent, l'homme, la femme, son entourage, tout...
En parler ? Dire quoi ? Qu'on pleure comme des gosses ? Pas envie de passer pour une mauviette...
Car il y a de ça aussi, même s'il existe des structures d'écoute, qui osera se confier ? Quel soldat osera dire cette horreur là.. Il faut être fort, solide, résistant, encaisser, prendre les coups, refouler...
C'est une bombe à retardement, qui saute à la gueule au moment où personne ne s'y attend !
La réalité c'est ça !
Nous ne disposons que de peu de choses pour apaiser ce mal ? Le mal de l'âme !
Nous n'avons que peu de choses pour soulager. Des médicaments, des techniques de thérapies sérieuses, fantaisistes. Mais cela importe t-il ?
Ecouter cette souffrance là mène t-il quelque part ? Dans quel lieu ?
Pouvons nous, nous thérapeutes, psychanalystes aider à y mettre des mots, se laisser mener en ces lieux tragiques in représentables pour aller avec le patient chercher ce morceau perdu, ce manque, cette partie de l'âme tombée sur le champ de batailles ?
Peut-on au mieux si on la retrouve en faire quelque chose ?
Peut-on ? Quoi ?
Il serait, il est indécent de gloser, de théoriser sur ce malheur là sur cette douleur, cette folie intenable alors que nous sommes confortablement assis dans nos fauteuils... Et que nous ne disposons que de cataplasmes à appliquer sur ces plaies béantes.
Pourtant.... Ce n'est pas une fatalité, et certains blessés remontent à la surface, vivent, revivent, font le deuil de ce passé lourd, trop lourd, qui ne peut être oublié, gommé, mais accepté pour avoir enfin la possibilité de revivre, de re naître à soi même et aux autres. Cette blessure fait trace, laisse une trace indélébile, elle est une fracture, consolidée mais toujours fragile, les vieux démons ne sont jamais bien loin et peuvent à tout moment sortir encore de la crypte.
Marco est blessé, sera blessé à tout jamais. Il me raconte pendant des heures son enfer et sa descente aux Enfers pour tenter d'oublier l'enfer de là bas. Un enfer pour oublier un autre enfer, chacun bricole comme il peut, avec ce qu'il peut; l'alcool me dit-il parce que c'est facile, même à la base tu peux en trouver.. Simple..
Infiniment simple et terriblement complexe...
Marco me dit je crois que ça va, puis je retombe, j'en sortirai jamais je vais crever. Je ne veux pas crever comme ça, j'aurai mieux fait d'y rester là bas, une bonne fois pour toute
Pourquoi je suis revenu ?
Je ne pourrai plus jamais vivre une vie normale.
Qu'est ce qu'une vie normale ?
Ce n'était pas la peine. Il n'est pas seul, mais se dit qu'il fait souffrir ceux qui l'aiment et qui ne méritent pas ça, il s'en veut, voudrait aussi mourir pour ça, pour que tout ça s'arrête.
Puis il me dit que quand même il y a des bons moments, qu'il y croit, que parfois même il est heureux.
S'accrocher à ça
Radeau... De la Méduse...
Branche fragile et tenue à laquelle on se raccroche, avec laquelle on se traine vers le rivage
Puisqu'on est là... Toujours et encore là ?
Oui, dit-il on peut alors en faire quelque chose...
Marco quittera le service plus serein, avec moins de colère, un peu d'espoir peut-être.
L'espoir ? Celui d'aller sur le chemin un peu mieux à défaut de guérir, car on ne guérit pas de la vue de la mort, on ne guérit pas de cette rencontre là, trop effrayante, trop effractante, trop proche, trop trop... trop là, partout, on ne guérit pas de sa froideur, de son odeur, de sa sueur
Quand on la voit de trop près, quand on la tient dans ses bras ! Il faut dormir après, il faut tenter d'aller, tenter de venir, d'advenir peut-être à un autre je que celui là, un je autre et différent fragile et fort de cette histoire là pour réécrire justement son histoire au présent.

Brigitte Dusch, historienne psychanalyste.

A tous les Marco, à tous les hommes à toutes les femmes... Qui à travers ces mots entendront raisonner l'espoir. A tous mes patients, qui me disent leur douleur.
*Le prénom a été modifié.




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