Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mardi 22 avril 2014

"Je est malade".... 1

Ada est malade, du moins c'est ce qu'elle dit. "Les médecins sont des Nuls..." C'est aussi ce qu'elle dit.
Ada est malade et les médecins ne trouvent aucune maladie, et comme Ada sait qu'elle est malade, les médecins sont forcément des "nuls"... Puisqu'ils disent qu'elle n'est pas malade... etc...

Je rencontre Ada à la demande d'un cardiologue du service d'un grand Hôpital. Il m'explique qu'il n'en peut plus, que ses confères ne savent plus quoi faire d'Ada et que moi peut-être, je pourrai lui expliquer "que sa maladie est dans sa tête... Car il ne voit rien d'autre qui pourrait expliquer ses plaintes à n'en plus finir"... Enfin si je "veux bien... Car vous verrez ce n'est pas un cadeau"

Je reçois alors une femme excitée, en colère, vociférant que le  "le corps médical est un ramassis de nullités qui n'entend pas sa souffrance, des bons à rien payés à ne rien faire."
Elle m'explique qu'elle n'a aucune envie de me voir, de me parler, mais que si elle veut qu'on la soigne, l'examine, qu'on "l'opère de l'intérieur pour voir qu'il y a bien quelque chose qui ne va pas" elle est bien obligé de passer ici, devant l'inquisitrice que je suis, et que sa vie dépend du rapport que je vais faire... ! Qu'elle sait que je ferai sûrement.. Elle en est persuadée, sinon pourquoi on l'envoie ici "chez les dingues"... Car "vous faites tous des rapports, c'est évident, vous êtes tous une secte malfaisante".

Un flot de paroles incessant... Elle qui ne veut pas parler, me parler.
Néanmoins elle prend place... Elle parle, parle, parle à n'en plus finir.

Je ne dis rien, j'écoute, j'écoute la parole se délier, se dérouler, couler en cascades, j'entends ses cris, ses hurlements, l'énumération de toutes les maladies dont elle souffre... Des noms savants, des examens poussés, à la pointe de la technologie qu'il lui faudrait passer "si ces imbéciles voulaient y consentir". Mais voilà," ils ne veulent pas". Donc Ada est malade... Encore malade toujours malade.
Car dans la maladie, elle est experte, elle s'y connait, elle ! Elle a tout lu sur internet, les maladies, les symptômes, et tout correspond, tout, elle a tout ça." Elle se tue dit-elle à expliquer çà à ses ânes là qui ont fait des années d'études et ne le voient même pas... "
Elle souffre, elle est née malade, elle le sait, la maladie, elle en "connait un rayon".
Elle "sait faire un diagnostic mieux que personne"...

Je ne dis rien, j'écoute, j'entends sa parole se délier, se dérouler, se défouler.
Des pieds à la tête elle a mal, des cheveux aux ongles de ses pieds qui sont "'incarnés"....
Ada souffre, une douleur qui l'envahit, l'étreint. Le dos, la tête, le coeur, la respiration, elle a du mal à manger, uriner..
Sa vie est un enfer. Sa vie est empêchée par la maladie. Elle ne peut rien faire d'autre ! Elle est malade, un jour c'est ceci, l'autre c'est cela..
Sa vie ? Sa vie est ponctuée de maux, de mots adressés aux médecins, spécialistes qu'elle consulte, de patrons "pointures" qu'elle rencontre depuis des années. En vain !
Une sorte de tour de France des spécialités pathologiques. Elle "pourrait écrire un guide Michelin des établissements de santé" hurle t-elle ! "et je mettrai un triple zéro à votre service" assène t-elle rageusement en se mouchant et essuyant ses larmes.
Quand elle ne consulte pas les médecins, elle consulte tous les sites médicaux, ceux des pathologies et des établissements qui les soignent. Elle se reconnait dans presque toutes les descriptions.
"Mais ces imbéciles ne voient rien ! ne comprennent rien, ne savent pas que s'ils continuent à ne rien voir, je vais mourir..."...
Ada, qui ne voulait rien dire parle, parle, des flots de paroles, d'insultes, de colère sortent de sa bouche.
Je n'ai rien dit, elle a parlé. Elle a dit. Elle a hurlé. Sa douleur, son mal, ses douleurs, ses symptômes.
Ses symptômes qu'aucun scanner, qu'aucune IRM, radio, analyses.. Ne mettront en évidence, n'objectiveront. Les bilans médicaux sont "normaux" "elle n'a rien "me précise le neurologue si ce n'est "vous voyez...quoi... c'est pour vous"...

C'est pour moi, c'est pour la psy... Oui, sûrement, peut-être ? Mais encore ?
Je propose à Ada un rendez vous avant son départ de l'hôpital, oui peut-être, mais pourquoi faire ? ça ne sert à rien, ils ne m'opéreront pas, ne trouveront pas mon mal... "Qu'ils aillent se faire foutre !"
Elle pleure, "de rage" précise t-elle.
Je lui demande si elle a déjà rencontré un psychologue, psychiatre... "Mais ce sont tous des charlatans, des menteurs, des incompétents, de ratés de la médecine, des ignares de première qui n'ont qu'une seule idée:  me faire enfermer... Ah les médecins, quand ils ne savent pas, ils disent que nous sommes fous... "
Limites de la sciences, mise en échec du corps médical ce même qui ne voit pas la souffrance de l'âme qui ne peut se montrer à voir qu'à travers un corps qui pourtant sain se veut être (ne peut-être que)  le champ de bataille du conflit qui bouffe, ronge, dévore le sujet telles des métastases...  ? Un mal qui s'incarne là. Un mal incarné ?

Ada ne reviendra pas, elle quittera le service pour être hospitalisée quelques semaines plus tard dans un autre établissement de la région.. Qui la renverra faute de trouver une "pathologie organique" et l'orientera vers le service psychiatrique de secteur... Qui ne la verra jamais...

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne

* Le prénom a bien sûr été modifié.
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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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