Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mardi 15 avril 2014

Guerre et Larmes

Ils disent que vous êtes des héros... Non, je ne crois pas, j'en suis même sûre,  ils ont tort  : Vous n'êtes pas des héros, vous n'avez jamais voulu ni l'être ni le devenir.
Vous étiez... Vous êtes....
Juste des misérables, des miséreux, des pauvres gens emportés dans la tourmente, dans la folie des hommes ; spirale infernale au masque impassible et avide de la mort qui engloutit en un tourbillon toute une génération ! Tout un espoir, toute l'espérance. Celle d'un monde.
Pauvres hères, âmes en peine, ombres et spectres qui rodent tant sur les champs de bataille dévastés que sur les monuments où vos noms sont gravés pour la mémoire...
Pour effacer la Honte.

Hommes, jeunes, moins jeunes... Père, fils, mari, homme enfants.... Fauchés, perdus, déchirés, mutilés, blessés, ravagés, dévastés... !

La guerre ! Encore, toujours... Répétition depuis la nuit des temps. Sans fin, encore et encore, cycle infernal de la guerre et l'enfer.
"Première guerre mondiale" lit-on dans les manuels, ceux écrits après, cette guerre là, meurtrière écrit-on aussi... Quarante quatre après la défaite de Sedan et vingt avant la seconde que tous espèrent comme dernière, elles le sont toujours. Soit disant. Mais la guerre est, était, et sera hélas toujours sur cette terre, les hommes ne sachant ni ne pouvant vivre en paix !
La guerre nécessaire, ce Polemos nécessaire ?

14-18... Dont on commémore le centenaire. Travail, devoir de Mémoire, il faut bien !

Cent ans ? Déjà. Cela parait loin, mais semble pourtant si près. Si proche de nous, un grand père, un grand oncle... Quelle famille n'a pas payé de tribut ?
Cent ans... pour penser, réfléchir, tirer leçon aussi peut-être ?
Historienne, j'ai décidé de me pencher un peu plus sur cette guerre, plutôt sur les hommes de cette guerre, ces soldats, ces poilus, qui partirent soit disant le coeur en fête, la fleur au fusil, bravaches sur les quais de gare, certains d'être de retour pour la moisson...
Mais il faut se méfier des "on dit" des "ouïes dire" des "images d'Epinal" de la "Propagande" !

Paysans, ouvriers, instituteurs, employés, tout ce "petit peuple" (comme les nomment les officiers) partis défendre un pays, une patrie, un monde... Partis à la reconquête de ces provinces qui leur avait été ravies. A qui appartient donc la terre ?
Partis en espérant revenir bientôt et vite pour que plus jamais, encore une fois, ils ont laissé derrière eux, une femme, des enfants, une maison, une vie, des espoirs... Une vie inachevée, qui s'achèvera...Dans l'horreur et la tragédie ! Mais le savaient-ils ? L'imaginaient-ils ? Peut-on imaginer ce qui n'existait pas encore ?

Partir sur ce chemin là ne laisse pas indemne, l'histoire quand on va la chercher pour la ramener, l'extirper de la crypte des Archives ne laisse pas indemne, jamais !
L'histoire se fait par les hommes, avec eux et s'écrit de même. L'histoire n'est que la somme des histoires des hommes,des femmes, des enfants qui étaient là, avant nous. L'histoire c'est ça, des vies, des itinéraires, des aventures...
Voir l'histoire sous ce jour apporte une humanité nouvelle, un éclairage différent pour comprendre une bataille, un carnage, une tragédie. Pour comprendre, essayer de savoir... D'apprendre !

Alors mon fils et moi avons décidé de mener l'enquête, d'en savoir plus, de partir à la rencontre de ces hommes, simples soldats, morts pour la France, trop tôt, trop jeunes, trop sans...Nous avons décidé d'écrire tous les deux cette histoire là, ces histoires là. Nous avons décidé une fois encore de donner un visage à ces noms sur la pierre, de les faire revivre, de raconter leur si courte vie, de ré animer leur mémoire.

Mort pour la France : La belle affaire ! Mort pour un pays... Celui ci, un autre, ils sont tous morts pour défendre une Terre qui appartient à tous...

Morts sans avoir aimé, sans avoir vécu, sans avoir fini, sans avoir fait la moisson.. Morts sans !
Il y a du manque là, encore une fois, du manque à vivre, du manque à recevoir. C'est la chanson de Craonne... Tristesse infinie, mais colère aussi. Colère et révolte surtout.
Colère de ceux qui se révoltent, qui ne veulent pas mourir. Qui ne veulent pas mourir pour rien, pour ceux qui à l'arrière n'ont aucune idée du prix de la vie. Qui se foutent pas mal du prix de la vie.

Partir sur ce chemin ne laisse pas indemne. L'histoire s'écrit ainsi. Ce n'est donc plus une époque, des faits, des évènements mais des hommes que nous suivons au détour des journaux d'opérations militaires. Verdun, Douaumont, Fleury, le Chemin des Dames.... ont tout à coup un autre visage. Celui de Gustave, Camille, Paul.... et les autres, leurs autres compagnons de misères, "tués à l'ennemi" "mort de ses blessures à l'Ambulance X" non loin du front... Mort de quelque chose, pour la France (?) mort cependant....
Des hommes en chair et en os, des dates, une classe... On ne part pas à la guerre pour ses 20 ans ? On ne meurt pas à 20 ans !
Lire des lettres, des carnets, déchiffrer des archives, livrets militaires, télégrammes annonçant les blessures, la mort d'un gamin de 20 ans, classe 14 mort 3 mois plus tard. Penser au désespoir d'une mère, d'une épouse, aux orphelins. Aux larmes d'un père parti à Paris chercher le corps de son seul fils mort pour rien. Camille tu dors au moins près des tiens !

Penser à cette souffrance, à cette douleur. L'histoire c'est cela aussi. C'est peut-être aussi cela surtout.

Je suis désolée de vous réveiller, vous qui pourtant ne dormez pas, vous qui êtes là... Dans les charniers au pire, dans les nécropoles... Dans les cimetières ! Ombres sans visage et sans repos à la recherche peut-être de réponses à des questions qui n'en n'ont pas.

Je lis ;  mon fils cherche, nous voilà plongés dans les opérations militaires... Les dates, les avancées, les reprises, les reculs, les tranchées, les barbelés.. La neige, le froid, la gadoue, la merde ! "ça colle, regarde la date, oui, Gustave était là... "

Que pensiez-vous ? Qu'éprouviez vous ? Terrifiés, anéantis... ?

Gustave, où étais-tu ce 7 avril 1917 ? Ta blessure ? Je te dis" tu", Gustave, tu es si jeune... Je te dis tu car je le dis à ceux que j'aime... Et toi Petit Camille, tu avais 20 ans à peine quand tu as quitté tes parents et ton village.. trois mois plus tard tu étais mort.

J'ai mal, nous avons mal, lire l'histoire ça fait mal aussi parfois. Il faut le savoir ça ! Aussi.
Ecrire à partir de... Ecrire l'histoire des soldats des tranchées, sapeurs mineurs, tirailleurs (en première ligne toujours ceux là !) artilleurs, hommes sacrifiés au nom de la vengeance, de la haine, du refus de négocier une paix convenable au nom d'une pulsion de mort et de destruction, d'un désir de ruine, de  repousser l'ennemi pour le réduire à néant.
Le Néant, nous y sommes, le vide, l'enfer, comme les paysages lunaires, plateaux dévastés, minés. Ravages et chaos qui en résultent. Sans honte, sans crainte, en avant toute !
Quelle gloire ? Quelle croix de guerre, médailles et légion d'honneur peuvent faire oublier un tel massacre ? Quelle inhumanité encore ? L'homme est décevant....

Non, vous n'êtes pas des héros, vous ne souhaitiez pas le devenir, la postérité comme ils disent à fait de vous des "héros" pour justifier la guerre, sa guerre et ses crimes, la guerre légitime la violence et la mort... Il faut bien faire, dire, nommer ce qui pourtant reste de l'ordre de l'innommable.
Soldats de larmes, soldats de misère, vous n'étiez ni de plomb ni de glace, seulement des hommes fragiles, vulnérables, de simples hommes ordinaires à qui ont a pris la vie sans vous demander votre avis, sans se soucier de votre envie de rester en vie !
Horreur Absolue.

La semaine dernière je recevais par la poste un petit paquet, ficelé, scotché, bien emballé... à l'intérieur il y avait un livret militaire, celui de Camille et deux télégrammes ; Un annonçait son "état alarmant" l'autre sa mort.
Puis une carte, "je vous les confie, nous sommes vieux, nos enfants jetteront tout ça, ces vieux papiers ne les intéressent pas, vous, vous saurez quoi en faire..."
Camille, Gustave, Paul...Les autres, anonymes qui manquent, qui ont manqué à l'appel. Qui errent dans le royaume des Morts. Nous ferons en sorte que...
Nous ferons notre devoir celui de l'historien, transmettre la mémoire pour que celle ci ne s'éteigne pas, dire aux hommes du présent et du futur que vous les hommes du passé vous êtes aussi passés là... Nous sommes vos passeurs, les passeurs du Temps.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Sacha Dusch, étudiant.
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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