Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mardi 29 avril 2014

SMS SOS

Une nouvelle forme d'écriture, texto, SMS, quelques mots d'amour ou pas tapés du bout des doigts et lancés à l'autre à la vitesse de l'éclair. "Presque plus vite que son ombre" plaisante un jeune patient.
Quelques mots, quelques lettres qui signifient des mots, une sorte de code, de signes que seuls les initiés peuvent comprendre, lire, déchiffrer le sens.
Une nouvelle forme de langage, de transmission, une nouvelle manière de dire à l'autre, vite, de communiquer, d'être avec.
La langue, ce qui fait le lien. Une langue qui parle et qui se parle, une langue qui s'écrit, qui se dit sous forme de messages instantanés. Une sorte d'ici et maintenant à l'autre qui est ailleurs au même moment.
Ecrire c'est aller au bout de sa pensée, c'est prendre un certain recul, c'est s'approprier et donner à l'autre pour le mettre dans le coup, ou donner à soi même lorsqu'on rédige son journal intime par exemple. Prendre et mettre de la distance entre soi, ses émotions, ses perceptions, ses états d'âme.
L'immédiateté induit un rapport autre, un autre rapport ;  à l'autre, à soi. Ce tout de suite sidérant remplace la réflexion, la relecture... Provoquant par là une autre forme de lien social, une autre langue, un autre appel, une autre réponse, un autre questionnement.
Une langue qui convoque la langue ?
Un être à la langue qui interpelle.

Ecrire comme on parle, parler comme on écrit. Une discussion avec un ami à propos d'un texte illible et incompréhensible tant il y avait de fautes de syntaxe, d'orthographe, de style m'amène à cette réflexion. Que devient la langue ? Triturée, torturée, tordue et malmenée. De tous temps elle s'est adaptée, modelée, modifiée, c'est le propre de la langue, il faut inventer, créer des mots, créer de la langue à parler et à écrire, des mots à dire. La langue crée des mots qui créent et recréent le langage, celui de l'homme et structure sa pensée qui restructure la langue.

Les mots évoluent, perdent ou prennent du sens, tombent en désuétude, ne veulent plus dire la même chose. L'histoire du mot est passionnante, il est le témoin de son temps, l'explorer permet de comprendre la pensée des hommes qu'il a habités et qui l'habitèrent.
Le mot va comme il vient, vient comme il va, au gré du vent, au gré de l'eau, porté par la vague pour nous dire encore et encore au delà du temps. Le mot est immortel, éternel, le mot ne meure jamais. Malgré tout. On tue la langue, l'enferme et la torture, mais le mot git au fond des âmes, prêt à surgir, à s'ériger pour clamer la liberté.
Le mot, ces mots écourtés, malmenés, amputés, dépecés, dépossédés, disséqués, disloqués, désarticulés sont-ils créateurs ? Créateurs de quoi ? Ou bien au contraire sont-ils les bourreaux, les tortionnaires de cette mise à mort programmée d'une langue condamnée par une société qui ne s'y retrouve plus, qui ne s'y reconnait plus. Une mise à mort de la langue ? Une destruction qui déconstruit brutalement ce que les siècles du passé on édifiés ?
Cette négation là n'est-elle pas une rebellion contre un ordre haï, détesté, impossible à tolérer, n'est-elle pas un rejet ? On se demande.

Une affirmation qui devient une interrogation. Langue morte ? Lettre ouverte ? Ou fermée sur un sens interdit, une impasse qui ne débouche même pas sur le vide, mais sur un Mur infranchissable, celui du Nom dit ? Un mur d'incompréhension, tour de Babel moderne qui désunit et délie ce qui pourtant semblait cohérent... Et qui ne l'est pas, pour ceux délaissés et qui délaissent ce qu'ils rejettent.

Penser autrement. Le SMS modèle la pensée, sa structure cognitive, sa forme ; Certes la science pourra nous propsoer des explications savantes, rationnelles et raisonnables, est-ce suffisant ?
Mais quelles représentations inconscientes ces lettres, signes assemblés véhiculent, transportent dans l'imaginaire, l'imaginé ? que symbolisent ils ? Que symbolise t-on à travers eux ?
Une nouvelle forme d'écriture et de dire, de communiquer à l'autre, l'instantané, la photo d'un mot qui ne laisse qu'une trace fugace et furtive qui ne prend son sens qu'au présent. Un peu comme ces épigrammes, instantanés du XVII° siècles vers et bons mots pour louer les largesses et la beauté de ses mécènes. Mais il y avait de l'art, une esthétique du compliment. Mais nous ne sommes plus au temps de Bensèrade hélas !
Peut-on trouver de la beauté dans ces textos, ces tags de la langue, cette forme structurale nouvelle qui se tague rageusement sur les portables, sur le net, mais aussi sur les copies que les élèves rédigent.
On parle comme on écrit et on écrit comme on parle, confusion des registres qui ne se soutiennent ni ne se tiennnent plus car ils ne sont plus soutenus que par la trivialité de l'instant saisi au vol. Sans lendemain, sans hier, ils sont à peine présents qu'ils sont déjà effaçés. Ecriture qui s'inscrit en faux, de l'orthographe, de la syntaxe et de la grammaire. Mais quid de tout cela ? Remisés au fond des placards car désormais inutiles ? Qu'est alors devenu le nécessaire pour écrire ce nécessaire essentiel à la vie. Faute de goût, de sens et d'orthographe. Fautes ? Est-il bien question de cela ? Mais là il ne s'agit pas de fautes, nous ne sommes plus dans ce registre, ce langage est incompréhensible,  il ne peut être compris par les autres (non initiés) à moins que ceux ci ne fassent un "effort" ce qui entraine à plus ou moins longue échéance une séparation, une division puis une rupture du lien social. Une fracture même.
Il y a alors du manque, celui de savoir écrire, vivre et dire, être aux autres. Ce manque de ne pouvoir exprimer ce qu'on ressent. Et c'est terrible, c'est une violence, aux autres et à soi même. Il y a une perte. Mais laquelle ? Une perte de transmission, mais que transmettre quand on n'a que rien d'autre que le vide. Et c'est ce vide qui est inquiétant, car on ne construit rien sur du vide.

L'écriture a une fonction de transmission, de laisser trace, d'adresser un message ; celui d'aujourd'hui qui sera le passé de demain, la mission de poursuivre, de continuité aussi, mais quel legs offrira cette langue formée sur la déconstruction des mots et leur destruction. Que propose t-elle ? A quoi donnera t-elle naissance ?


Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne

Je dédie ce texte (entre autres) à mon ami Régis Ollivier.

mardi 22 avril 2014

"Je est malade".... 1

Ada est malade, du moins c'est ce qu'elle dit. "Les médecins sont des Nuls..." C'est aussi ce qu'elle dit.
Ada est malade et les médecins ne trouvent aucune maladie, et comme Ada sait qu'elle est malade, les médecins sont forcément des "nuls"... Puisqu'ils disent qu'elle n'est pas malade... etc...

Je rencontre Ada à la demande d'un cardiologue du service d'un grand Hôpital. Il m'explique qu'il n'en peut plus, que ses confères ne savent plus quoi faire d'Ada et que moi peut-être, je pourrai lui expliquer "que sa maladie est dans sa tête... Car il ne voit rien d'autre qui pourrait expliquer ses plaintes à n'en plus finir"... Enfin si je "veux bien... Car vous verrez ce n'est pas un cadeau"

Je reçois alors une femme excitée, en colère, vociférant que le  "le corps médical est un ramassis de nullités qui n'entend pas sa souffrance, des bons à rien payés à ne rien faire."
Elle m'explique qu'elle n'a aucune envie de me voir, de me parler, mais que si elle veut qu'on la soigne, l'examine, qu'on "l'opère de l'intérieur pour voir qu'il y a bien quelque chose qui ne va pas" elle est bien obligé de passer ici, devant l'inquisitrice que je suis, et que sa vie dépend du rapport que je vais faire... ! Qu'elle sait que je ferai sûrement.. Elle en est persuadée, sinon pourquoi on l'envoie ici "chez les dingues"... Car "vous faites tous des rapports, c'est évident, vous êtes tous une secte malfaisante".

Un flot de paroles incessant... Elle qui ne veut pas parler, me parler.
Néanmoins elle prend place... Elle parle, parle, parle à n'en plus finir.

Je ne dis rien, j'écoute, j'écoute la parole se délier, se dérouler, couler en cascades, j'entends ses cris, ses hurlements, l'énumération de toutes les maladies dont elle souffre... Des noms savants, des examens poussés, à la pointe de la technologie qu'il lui faudrait passer "si ces imbéciles voulaient y consentir". Mais voilà," ils ne veulent pas". Donc Ada est malade... Encore malade toujours malade.
Car dans la maladie, elle est experte, elle s'y connait, elle ! Elle a tout lu sur internet, les maladies, les symptômes, et tout correspond, tout, elle a tout ça." Elle se tue dit-elle à expliquer çà à ses ânes là qui ont fait des années d'études et ne le voient même pas... "
Elle souffre, elle est née malade, elle le sait, la maladie, elle en "connait un rayon".
Elle "sait faire un diagnostic mieux que personne"...

Je ne dis rien, j'écoute, j'entends sa parole se délier, se dérouler, se défouler.
Des pieds à la tête elle a mal, des cheveux aux ongles de ses pieds qui sont "'incarnés"....
Ada souffre, une douleur qui l'envahit, l'étreint. Le dos, la tête, le coeur, la respiration, elle a du mal à manger, uriner..
Sa vie est un enfer. Sa vie est empêchée par la maladie. Elle ne peut rien faire d'autre ! Elle est malade, un jour c'est ceci, l'autre c'est cela..
Sa vie ? Sa vie est ponctuée de maux, de mots adressés aux médecins, spécialistes qu'elle consulte, de patrons "pointures" qu'elle rencontre depuis des années. En vain !
Une sorte de tour de France des spécialités pathologiques. Elle "pourrait écrire un guide Michelin des établissements de santé" hurle t-elle ! "et je mettrai un triple zéro à votre service" assène t-elle rageusement en se mouchant et essuyant ses larmes.
Quand elle ne consulte pas les médecins, elle consulte tous les sites médicaux, ceux des pathologies et des établissements qui les soignent. Elle se reconnait dans presque toutes les descriptions.
"Mais ces imbéciles ne voient rien ! ne comprennent rien, ne savent pas que s'ils continuent à ne rien voir, je vais mourir..."...
Ada, qui ne voulait rien dire parle, parle, des flots de paroles, d'insultes, de colère sortent de sa bouche.
Je n'ai rien dit, elle a parlé. Elle a dit. Elle a hurlé. Sa douleur, son mal, ses douleurs, ses symptômes.
Ses symptômes qu'aucun scanner, qu'aucune IRM, radio, analyses.. Ne mettront en évidence, n'objectiveront. Les bilans médicaux sont "normaux" "elle n'a rien "me précise le neurologue si ce n'est "vous voyez...quoi... c'est pour vous"...

C'est pour moi, c'est pour la psy... Oui, sûrement, peut-être ? Mais encore ?
Je propose à Ada un rendez vous avant son départ de l'hôpital, oui peut-être, mais pourquoi faire ? ça ne sert à rien, ils ne m'opéreront pas, ne trouveront pas mon mal... "Qu'ils aillent se faire foutre !"
Elle pleure, "de rage" précise t-elle.
Je lui demande si elle a déjà rencontré un psychologue, psychiatre... "Mais ce sont tous des charlatans, des menteurs, des incompétents, de ratés de la médecine, des ignares de première qui n'ont qu'une seule idée:  me faire enfermer... Ah les médecins, quand ils ne savent pas, ils disent que nous sommes fous... "
Limites de la sciences, mise en échec du corps médical ce même qui ne voit pas la souffrance de l'âme qui ne peut se montrer à voir qu'à travers un corps qui pourtant sain se veut être (ne peut-être que)  le champ de bataille du conflit qui bouffe, ronge, dévore le sujet telles des métastases...  ? Un mal qui s'incarne là. Un mal incarné ?

Ada ne reviendra pas, elle quittera le service pour être hospitalisée quelques semaines plus tard dans un autre établissement de la région.. Qui la renverra faute de trouver une "pathologie organique" et l'orientera vers le service psychiatrique de secteur... Qui ne la verra jamais...

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne

* Le prénom a bien sûr été modifié.

mardi 15 avril 2014

Guerre et Larmes

Ils disent que vous êtes des héros... Non, je ne crois pas, j'en suis même sûre,  ils ont tort  : Vous n'êtes pas des héros, vous n'avez jamais voulu ni l'être ni le devenir.
Vous étiez... Vous êtes....
Juste des misérables, des miséreux, des pauvres gens emportés dans la tourmente, dans la folie des hommes ; spirale infernale au masque impassible et avide de la mort qui engloutit en un tourbillon toute une génération ! Tout un espoir, toute l'espérance. Celle d'un monde.
Pauvres hères, âmes en peine, ombres et spectres qui rodent tant sur les champs de bataille dévastés que sur les monuments où vos noms sont gravés pour la mémoire...
Pour effacer la Honte.

Hommes, jeunes, moins jeunes... Père, fils, mari, homme enfants.... Fauchés, perdus, déchirés, mutilés, blessés, ravagés, dévastés... !

La guerre ! Encore, toujours... Répétition depuis la nuit des temps. Sans fin, encore et encore, cycle infernal de la guerre et l'enfer.
"Première guerre mondiale" lit-on dans les manuels, ceux écrits après, cette guerre là, meurtrière écrit-on aussi... Quarante quatre après la défaite de Sedan et vingt avant la seconde que tous espèrent comme dernière, elles le sont toujours. Soit disant. Mais la guerre est, était, et sera hélas toujours sur cette terre, les hommes ne sachant ni ne pouvant vivre en paix !
La guerre nécessaire, ce Polemos nécessaire ?

14-18... Dont on commémore le centenaire. Travail, devoir de Mémoire, il faut bien !

Cent ans ? Déjà. Cela parait loin, mais semble pourtant si près. Si proche de nous, un grand père, un grand oncle... Quelle famille n'a pas payé de tribut ?
Cent ans... pour penser, réfléchir, tirer leçon aussi peut-être ?
Historienne, j'ai décidé de me pencher un peu plus sur cette guerre, plutôt sur les hommes de cette guerre, ces soldats, ces poilus, qui partirent soit disant le coeur en fête, la fleur au fusil, bravaches sur les quais de gare, certains d'être de retour pour la moisson...
Mais il faut se méfier des "on dit" des "ouïes dire" des "images d'Epinal" de la "Propagande" !

Paysans, ouvriers, instituteurs, employés, tout ce "petit peuple" (comme les nomment les officiers) partis défendre un pays, une patrie, un monde... Partis à la reconquête de ces provinces qui leur avait été ravies. A qui appartient donc la terre ?
Partis en espérant revenir bientôt et vite pour que plus jamais, encore une fois, ils ont laissé derrière eux, une femme, des enfants, une maison, une vie, des espoirs... Une vie inachevée, qui s'achèvera...Dans l'horreur et la tragédie ! Mais le savaient-ils ? L'imaginaient-ils ? Peut-on imaginer ce qui n'existait pas encore ?

Partir sur ce chemin là ne laisse pas indemne, l'histoire quand on va la chercher pour la ramener, l'extirper de la crypte des Archives ne laisse pas indemne, jamais !
L'histoire se fait par les hommes, avec eux et s'écrit de même. L'histoire n'est que la somme des histoires des hommes,des femmes, des enfants qui étaient là, avant nous. L'histoire c'est ça, des vies, des itinéraires, des aventures...
Voir l'histoire sous ce jour apporte une humanité nouvelle, un éclairage différent pour comprendre une bataille, un carnage, une tragédie. Pour comprendre, essayer de savoir... D'apprendre !

Alors mon fils et moi avons décidé de mener l'enquête, d'en savoir plus, de partir à la rencontre de ces hommes, simples soldats, morts pour la France, trop tôt, trop jeunes, trop sans...Nous avons décidé d'écrire tous les deux cette histoire là, ces histoires là. Nous avons décidé une fois encore de donner un visage à ces noms sur la pierre, de les faire revivre, de raconter leur si courte vie, de ré animer leur mémoire.

Mort pour la France : La belle affaire ! Mort pour un pays... Celui ci, un autre, ils sont tous morts pour défendre une Terre qui appartient à tous...

Morts sans avoir aimé, sans avoir vécu, sans avoir fini, sans avoir fait la moisson.. Morts sans !
Il y a du manque là, encore une fois, du manque à vivre, du manque à recevoir. C'est la chanson de Craonne... Tristesse infinie, mais colère aussi. Colère et révolte surtout.
Colère de ceux qui se révoltent, qui ne veulent pas mourir. Qui ne veulent pas mourir pour rien, pour ceux qui à l'arrière n'ont aucune idée du prix de la vie. Qui se foutent pas mal du prix de la vie.

Partir sur ce chemin ne laisse pas indemne. L'histoire s'écrit ainsi. Ce n'est donc plus une époque, des faits, des évènements mais des hommes que nous suivons au détour des journaux d'opérations militaires. Verdun, Douaumont, Fleury, le Chemin des Dames.... ont tout à coup un autre visage. Celui de Gustave, Camille, Paul.... et les autres, leurs autres compagnons de misères, "tués à l'ennemi" "mort de ses blessures à l'Ambulance X" non loin du front... Mort de quelque chose, pour la France (?) mort cependant....
Des hommes en chair et en os, des dates, une classe... On ne part pas à la guerre pour ses 20 ans ? On ne meurt pas à 20 ans !
Lire des lettres, des carnets, déchiffrer des archives, livrets militaires, télégrammes annonçant les blessures, la mort d'un gamin de 20 ans, classe 14 mort 3 mois plus tard. Penser au désespoir d'une mère, d'une épouse, aux orphelins. Aux larmes d'un père parti à Paris chercher le corps de son seul fils mort pour rien. Camille tu dors au moins près des tiens !

Penser à cette souffrance, à cette douleur. L'histoire c'est cela aussi. C'est peut-être aussi cela surtout.

Je suis désolée de vous réveiller, vous qui pourtant ne dormez pas, vous qui êtes là... Dans les charniers au pire, dans les nécropoles... Dans les cimetières ! Ombres sans visage et sans repos à la recherche peut-être de réponses à des questions qui n'en n'ont pas.

Je lis ;  mon fils cherche, nous voilà plongés dans les opérations militaires... Les dates, les avancées, les reprises, les reculs, les tranchées, les barbelés.. La neige, le froid, la gadoue, la merde ! "ça colle, regarde la date, oui, Gustave était là... "

Que pensiez-vous ? Qu'éprouviez vous ? Terrifiés, anéantis... ?

Gustave, où étais-tu ce 7 avril 1917 ? Ta blessure ? Je te dis" tu", Gustave, tu es si jeune... Je te dis tu car je le dis à ceux que j'aime... Et toi Petit Camille, tu avais 20 ans à peine quand tu as quitté tes parents et ton village.. trois mois plus tard tu étais mort.

J'ai mal, nous avons mal, lire l'histoire ça fait mal aussi parfois. Il faut le savoir ça ! Aussi.
Ecrire à partir de... Ecrire l'histoire des soldats des tranchées, sapeurs mineurs, tirailleurs (en première ligne toujours ceux là !) artilleurs, hommes sacrifiés au nom de la vengeance, de la haine, du refus de négocier une paix convenable au nom d'une pulsion de mort et de destruction, d'un désir de ruine, de  repousser l'ennemi pour le réduire à néant.
Le Néant, nous y sommes, le vide, l'enfer, comme les paysages lunaires, plateaux dévastés, minés. Ravages et chaos qui en résultent. Sans honte, sans crainte, en avant toute !
Quelle gloire ? Quelle croix de guerre, médailles et légion d'honneur peuvent faire oublier un tel massacre ? Quelle inhumanité encore ? L'homme est décevant....

Non, vous n'êtes pas des héros, vous ne souhaitiez pas le devenir, la postérité comme ils disent à fait de vous des "héros" pour justifier la guerre, sa guerre et ses crimes, la guerre légitime la violence et la mort... Il faut bien faire, dire, nommer ce qui pourtant reste de l'ordre de l'innommable.
Soldats de larmes, soldats de misère, vous n'étiez ni de plomb ni de glace, seulement des hommes fragiles, vulnérables, de simples hommes ordinaires à qui ont a pris la vie sans vous demander votre avis, sans se soucier de votre envie de rester en vie !
Horreur Absolue.

La semaine dernière je recevais par la poste un petit paquet, ficelé, scotché, bien emballé... à l'intérieur il y avait un livret militaire, celui de Camille et deux télégrammes ; Un annonçait son "état alarmant" l'autre sa mort.
Puis une carte, "je vous les confie, nous sommes vieux, nos enfants jetteront tout ça, ces vieux papiers ne les intéressent pas, vous, vous saurez quoi en faire..."
Camille, Gustave, Paul...Les autres, anonymes qui manquent, qui ont manqué à l'appel. Qui errent dans le royaume des Morts. Nous ferons en sorte que...
Nous ferons notre devoir celui de l'historien, transmettre la mémoire pour que celle ci ne s'éteigne pas, dire aux hommes du présent et du futur que vous les hommes du passé vous êtes aussi passés là... Nous sommes vos passeurs, les passeurs du Temps.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Sacha Dusch, étudiant.

mardi 8 avril 2014

Instrumentaliser la peur.

La peur !
Instrumentaliser la peur et la haine, la haine pour faire peur. User, ustensiliser ce qui est atavique, le propre de l'homme, ce qui le maintient en vie et en survie. La peur, sa peur, sa propre peur, mais peur de quoi ?
User de cette technique là, sophistiquée, raffinée et perverse.
Une des ruses et armes de guerres les plus anciennes. Diviser les ennemis, les opposer, utiliser la haine de l'un pour terrifier l'autre.... Et ainsi de suite, et retirer les marrons du feu.
Regarder... La peur, celle de l'autre, des autres
Jouir de cette peur là...

Nous ne sommes ni dans la science fiction ni dans un scénario catastrophe, simplement dans la réalité et dans le quotidien de ces derniers jours, de ces derniers mois.
C'est ce que l'actualité nous montre à voir si on prend juste un peu de temps pour faire une pause, regarder, observer, analyser, décrypter, articuler, donner du sens.

Et poser des hypothèses. Sont-elles, peuvent-elles être à la mesure de la perversion de l'origine de l'acte ? C'est difficile, mais risquons nous sur ce terrain miné. Au risque de déplaire, au risque de choquer, au risque d'énoncer et de dénoncer une vérité. Mais la psychanalyse et le psychanalyste n'ont-ils pas ce devoir là ?
Qu'est ce que la peur ? Cette émotion si singulière que le sujet ressent au plus profond de lui face à un danger réel ou pas, danger ou menace. Cette chose étrange qui lui fait craindre pour sa vie. Cette chose parfois indicible, impalpable qui fait qu'il ne se sent plus en sécurité... Cette chose dont sa vie dépend ?

Danger, peur, menace, crainte, sécurité. Une sécurité qui devient une insécurité, qui crée de l'angoisse et un mal aise. Un mal être...Un sentiment, une sensation d'étrangeté difficile à exprimer mais facile à expliquer.
Lors d'un précédent article j'ai évoqué cet irisible indécence, ces propos haineux véhiculés et travestis sous une forme soit disant humoristique pour être montrés à entendre et surtout à rire !
Sous couvert une fois encore de spectacle, d'art, où tout peut être mis en scène et en actes au nom de la liberté d'expression, l'indicible a pourtant été dit. Il a fallu interdire, poser un interdit car la transgression n'était ni supportable ni tolérable. Il a fallu museler cette parole, la faire taire au nom de la liberté, justement. Une liberté liberticide. J'ai souligné alors le questionnement éthique de cette interdiction, le fondement même de ces volontés. Celle de nuire, celle de transgresser, celle de museler, celle de légiférer, celle de punir. Surveiller pour punir éventuellement ces mots et dires qui transgressent la décence que l'Humanité s'est fixée, ce cadre qui fait que notre vivre ensemble soit au moins possible rien qu'un petit peu.
Pourquoi maintenant ? Et seulement maintenant ?
Comment interpréter, comment comprendre ? Comment lire, analyser avec un peu de recul ces événements aussi bruyants que désagréable ?
Qu'est ce que ça cache ? A qui se fier ? Pourquoi ? Et comment ?
Manipulation ? Perversion ? Que ne fait-on pas dire aux mots, aux maux ? A la parole ?
Avoir peur pour faire taire, ne pas faire de vague, raser les murs tels des fantômes et des ombres qui se demandent s'ils peuvent encore penser et espérer.
On joue, on pousse à bout, la peur de l'autre, cette possibilité de la peur qui est ancrée en lui, atavique sursaut de survie, qui comme le mal et la haine sont ancrées et encrées dans la partie la plus archaïque de l'âme du sujet humain, torturé, malade, éveillé mais inconscient parfois, ou conscient et endormi. L' Homme doit-il alors se réveiller ? Cet homme debout ? Doit-il se tenir courbé ? Courber l'échine par peur de... Crainte de... mais de quoi ?
De quoi est faite la peur ? Ce sentiment mêlé à l'odeur parfois insoutenable ? De quoi est-elle faite ? A quoi tient-elle ?
Jouissance de l'autre pervers manipulateur qui se délecte de sa mise en scène, des actes qu'il pose et qui font leur effet. Leurs effets sur cet autre qu'il veut à tout prix maintenir en son sein, sein malveillant sein empoisonné qui le nourrit de son venin...
Mal, haine, crime, peur... Eros et Thanatos, douleur et souffrance, plaisir et bonheur tournent en boucle, début et fin et ça recommence, encore et encore, sans jamais finir.
Instrumentaliser la peur, tuer l'autre à petit feu, l'étouffer dans ses mots retenus, restés au travers de sa gorge.
A bout de souffle !

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste

samedi 5 avril 2014

Histoire de..

Il ne doit pas avoir bien loin de 18 ans, peut-être plus, peut-être moins, je n'en sais rien
Il est tout seul, un peu isolé au sein du groupe, au fond, tout au fond.
Il ne participe pas, ou peu, pourtant il semble plein de bonne volonté, pourtant.
Il ne parle pas, ne chahute pas, il écoute.
Rien, rien ne se passe, pourtant
Alors je m'avance, je lui parle, je lui demande
Il me regarde longtemps, presque fixement et timidement, gentiment me dit
"Je ne sais pas comment cela se dit"
"Montrez moi"
Il me désigne le sol, me le montre du regard.
Alors je lui dis les mots qui peuvent désigner ce qu'il me montre, les écris au tableau noir,
Je dis, j'écris, je désigne, et je lui fait faire de même

Puis plus tard, lorsque le groupe est parti, il vient me voir, ne dit rien, je range mes affaires, lentement, je ne suis pas pressée...
Je lui demande de me dire s'il veut bien comment c'était à l'école, avant de venir ici, dans ce centre de formation
Il retient des larmes... Ses larmes. Il n'a pas tous les mots, pour dire, pour les mettre sur sa douleur, profonde, terrible!
Il me regarde et je l'aide, à dire
Il me dit qu'il est allé au collège, jusqu'en 4°
Je lui demande comment il a fait, pour arriver jusque là
Il me décrit son parcours du combattant, parcours d'un misérable soldat vaincu avant même d'avoir livré sa première bataille.
Il n'a jamais rien compris, à ce qu'on lui demandait, ce qu'on lui disait, ce qu'on attendait de lui
Alors il était envoyé au fond de la classe
Les enseignants le toléraient car il était gentil... Il ne faisait pas de bruit...
Il peine pour lire, pour écrire, pour faire ce qu'il faut
"Pour avoir ce foutu CAP de peintre, il faut que j'y arrive..."
Peintre ça lui plait, il aime ça, d'ailleurs pour la première fois de sa vie, à l'école, ici dans le centre, on est content de lui, le moniteur lui dit qu'il fait du bon travail, qu'il est soigneux etc..Que c'est bien, qu'il est sérieux.
Il est : Enfin.
Et il envisage son avenir, car enfin, il y a quelque part où il n'est pas "nul" , mais reconnu.

Il semble soulagé, content, me demande si je vais l'aider, si on va l'aider. Je lui explique que je ne peux pas le faire seule, qu'il lui faut rencontrer d'autres gens, une orthophoniste par ex, des enseignants spécialisés dans l'apprentissage de l'écriture et la lecture pour les adultes.. Il prend peur, me dit que c'est pour "les gogols" ou les "manouches".... Il faut encore parlementer... Expliquer, rassurer

Le début d'un long chemin, très long chemin.......

Je range mes affaires, sors pour prendre mon bus, je chemine et m'interroge... Comment a t-il pu arriver jusqu'en 4° ?
Comment a t-il fait tout au long de son parcours scolaire, depuis le CP, comment a t-il fait avec tous ces manques, ces lacunes, que rien ni personne ne sont venus combler, n'ont vues, n'ont repérées
Combien il a pu souffrir, en silence, sans jamais se plaindre, transparent, pour passer entre les mailles de ces filets. Tranquille ? Gentil ! Combien douloureuse a du être la souffrance de ce petit garçon, puis de cet ado, maladroit, gêné, empêché..
Souffrance, douleur, injustice..
Qu'on fait les enseignants ? Les parents ? Personne ne s'est-il jamais posé de question ? Ne s'est demandé pourquoi il ne comprenait pas ? Pourquoi il ne lisait pas couramment ? Pourquoi et pourquoi et pourquoi ?

* Cette histoire est hélas réelle, c'en est une parmi tant d'autres !


Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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