Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mardi 11 septembre 2012

Chez soi.

Ce matin là elle avait décidé de me parler, de m'expliquer pourquoi elle voulait rentrer chez elle.

Mme C était là depuis quelques jours, elle était tombée dans son jardin, son voisin avait appelé le médecin qui l'avait fait hospitaliser... Ce n'était pas vraiment grave mais aux dires des infirmières elle perdait la tête, elle était désorientée...Il serait peut-être bon qu'elle ne rentre pas chez elle.
Depuis son hospitalisation elle avait tenté de s'enfuir de l'hôpital, alors le personnel l'avait attaché. "Pour elle" m'avait-on précisé, car elle pourrait se faire mal !
Puis d'ajouter," vous comprenez nous ne sommes pas assez nombreuses, s'il faut surveiller tous ces vieux qui veulent retourner chez eux !"
Non, à vrai dire je ne comprends pas, je ne suis pas là pour comprendre ça, ces doléances là ne me concernent pas vraiment. Ce n'est pas à moi qu'il faut expliquer ça !
Elles le savent pourtant que je ne suis pas de leur côté sur "ce coup là"...

Alors elle veut me parler, sans doute pense t-elle que je pourrai être une alliée ? Il y a, m'avait-elle dit la semaine dernière des alliés et des ennemis, comme pendant la guerre qu'elle avait traversé. D'ailleurs elle était en guerre.
En guerre contre tous ceux qui pensaient à sa place, que ceci ou cela serait bien pour elle. "comme s'ils savaient eux ce qui est bien pour moi...Les imbéciles, que peuvent-ils bien savoir de moi ? " soupirait-elle assise dans son fauteuil, affaiblie mais n'ayant rien perdu ni de sa prestance ni de son humour parfois cynique.

Mme C ne demandait rien à personne, elle ne voulait rien de personne. Elle vivait tranquillement chez elle, dans sa maison, quelques aides passaient pour l'aider à faire le ménage, mais elle les supportait mal. Elle en avait assez de ces "étrangères" qui venaient lui dire que et quand manger !
Je mange quand j'ai faim, et ce que j'ai envie.
Ses voisins lui faisaient quelques courses car elle avait de plus en plus de difficultés à se rendre dans les magasins. Elle passait ses journées dans son jardin et sa maison, regardait la télé, faisait des mots croisés, tricotait, lisait, ou ne faisait rien. Après tout "j'en ai suffisamment fait toute ma vie".

Elle ne voulait recevoir personne, toute intrusion troublait son intimité, son rythme, sa vie. Bouleversait son quotidien. Faisait du bruit. Cette "invasion" disait-elle la dérangeait et l'empêchait de penser, de rêver, de se souvenir...
Elle se levait lorsque le jour traversait ses volets. Comme elle ne pouvait plus monter facilement dans sa chambre, elle s'était installée dans son salon, sur sa banquette, pas loin de la cuisine, elle pouvait dit-elle voir la télé de son lit.
Le médecin passait de temps en temps renouveller les ordonnances et s'indignait qu'elle soit encore chez elle, alors qu'elle avait largement les moyens de s'offrir une place dans la meilleure des maisons de retraite
"Le meilleur des mouroirs reste quand même un mouroir !" assénait-elle !" Jamais, je veux mourir chez moi, dans cette maison dont je connais chaque mur et chaque pierre, je suis née ici et mourrai ici."

Elle tenait avant tout à sa liberté, manger et dormir quand elle le voulait, lire le journal et voir ses voisins, un peu moins vieux et un peu plus valides.
Cette fois elle était tombée et n'avait pu se relever, le voisin n'avait pas pu faire autrement ! Elle sourit :"dites lui que je comprends".
Elle m'assure ensuite qu'elle ne perd pas la mémoire, qu'elle va bien et me raconte sa vie passée avec souci de détails. Elle ne se souvient plus très bien de l'âge de ses enfants, mais n'a pas oublié sa dernière année de lycée.
Ses enfants ! Elle n'a aucune envie de les voir, ils ont leur vie elle a la sienne, et c'est bien différent tout ça. Elle les aime, elle sait qu'ils vont bien et c'est le principal, ils n'ont plus vraiment besoin d'elle, et elle n'a pas besoin d'eux.
Elle refuse d'aller chez eux, même pour une simple visite, elle n'est pas dans son univers, se sent déplacée, intruse elle aussi et mal à l'aise. Elle n'a plus ses habitudes "là bas je suis vraiment perdue, vous comprenez". Elle a peur de déranger, de ne pas être à sa place...
Elle m'explique aussi, que là bas chez eux, c'est comme si elle retombait en enfance, ils me prennent "pour une gâteuse" je suis quand" même leur mère, et c'est encore moi qui décide."
"Ce n'est pas bon ça que les parents soient chez leurs enfants... Avant c'était le contraire, maintenant tout fiche le camp et ça avec."

"Vous allez me laisser rentrer chez moi ?"...
Je ne détiens pas ce pouvoir (ni aucun autre du reste) et le lui dit....
Mais qui peut décider de garder quelqu'un contre son gré. Il lui faut néamnoins être sûre que son état de santé soit bon.
"Je ne suis pas malade, je suis vieille, alors j'entends moins bien, je vois moins bien, je fais tout moins bien... mais je ne suis pas malade, sauf si la vieillesse est une maladie"'
La vieillesse en serait-elle une ? A t-on fait de ce processus naturel une pathologie qu'il faut encadrer, diagnostiquer, mais qu'on sait incurable ? Comme la maternité ?
Ainsi la naissance et la mort sont de nos jours médicalisées, on ne nait plus chez soi...On nait et meurt dans des salles aseptisées, neutres et hostiles... Loin des siens, loin de tout. Seul déja du début à la fin ?

Mme C retournera chez elle pour y vivre et y mourir dit-elle, car tout le monde meurt, les fleurs fanent et refleurissent l'année suivante."Mais nous non, quand c'est fini c'est fini".

A J.C
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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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