Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

lundi 24 janvier 2011

Question de poids

Question de poids

"Je veux perdre ces kilos, ces quelques kilos qui me gonflent, qui me génent..."
C'est ainsi que se présente R lors de son premier rendez vous.

L'objectif de la thérapie "maigrir, perdre du poids"
Je lui demande alors si elle a consulté un médecin, un spécialiste... Oui, bien sûr et elle a essayé de multiples régimes, mais comme il ne s'agit que de quelques kilos personne ne la prend vraiment au sérieux...
C'est pour cette raison qu'elle est ici.
Elle a déjà suivi une thérapie comportementale et cognitive sans résultats, se voir en photos pour se convaincre qu'elle n'est pas grosse ne l'a pas convaincu !
Faire des échelles, des colonnes de Beck non plus...
Savoir comment les autres la voient ne l'interressent pas.

Elle sait que ce n'est pas là que se situe vraiment le problème souligne t-elle d'emblée..
Elle sait aussi que ces kilos, ces quelques kilos en trop la gènent, la dérangent, l'empêchent d'être à l'aise dans ses vétements, qu'elle se sent serrée, coincée, guindée ...
Mal à l'aise...
R souffre de ses kilos en trop, parce que personne ne la prend au sérieux... R est en souffrance.
R veut perdre ces kilos qui sont à l'origine de ce mal aise. Elle se regarde, regarde son corps, se regarde dans la glace et ce que celle ci lui renvoit ne lui plait pas
Elle se moque de savoir que les autres la "trouve bien, pas grosse etc... "
Ce que pensent les autres ne lui importe pas, c'est ce qu'elle pense qui est important...
Et elle pense qu'elle n 'est "pas bien, pas sexy, pas top, pas aimable, que tout lui va comme un sac"
Alors R est venue en thérapie, pour expliquer, pour parler des "régimes " qu'elle s'impose, de son corps qu'elle ne "maitrise pas" qui "ne l'écoute pas" qui 'n'en fait qu'à sa tête"
L'image de son corps l'obsède; il n'y a rien à faire !

Enfant elle était déjà "boulotte", sa mère la gavait de patisseries, gâteaux, nourriture... Elle trouvait qu'elle ne mangeait pas assez, qu'il fallait "faire honneur à sa cuisine, qu'il fallait reprendre encore et encore"... "Ne pas manger était mal élevé... Ne pas se resservir un affront à la maitresse de maison".
"Et d'en remettre une tonne dans l'assiette...mange !"
La nourriture était trop riche, dit elle, trop grasse, trop enveloppante, trop sucrée, trop sirupeuse, trop, trop de tout, trop généreuse...Trop vous comprenez !
Et moi, je voyais mes formes s'arrondir, et ma mère s'extasier sur mes rondeurs, comme Mme Sarfati dit-elle les larmes aux yeux..
Elle me parle alors de sa mère, de sa famille, de la famille de sa mère, de ses tantes, de sa grand mère, de ces matriarches.
Femmes...
Ma famille, c'est comme mon placard me dit elle, je l'aime vide....
Vide ?

Et de m'expliquer que cette famille qu'elle aime, qu'elle" adore plus que tout" est envahissante, qu'elle l'étouffe, qu'elle ne la laisse pas vivre, qu'elle la dévore...
Ma mère, ma grand mère, mes tantes, toutes ces femmes !
Alors elle ne se rend plus aux fêtes de famille qui donnent lieu à des repas "pantagrueliques" à des remarques "désobligeantes" des questions "sur ma vie privée", où on la trouve trop maigre.

R travaille et vit depuis quelques mois dans son appartement. Cette décision a été très difficile à prendre, sa mère lui faisait "du chantage affectif" elle n'osait pas...Mais ce n'était plus possible "elle me traitait comme une débile, comme une attardée, une demeurée, une idiote, une incapable"...
R n'en pouvait plus.

Puis elle a osé. "Je fais mes courses, je mange light, je fais du sport... Je veux rentrer dans mes vêtements sans être serrée"
Sans être serrée... Au fil des séances ces mots reviennent souvent..
"Des repas lourds, des repas pesants, une famille qui me pése, le poids des racines, le fardeau de la culture"
Puis la honte "je voudrai les fuir, qu'ils ne soient pas ma famille...Je ne veux pas leur ressembler, elles me font pitié, je ne veux pas devenir comme elles. "
Elle me décrit « les Valeureux »....D'ailleurs elle le dit elle même dans un grand éclat de rire "vous savez, Cohen n'a rien exagéré"...

Elle se sent prisonnière de cette famille comme son corps l'est de ses vêtements.
Elle se sent prisonnière de ces femmes qui la veulent comme elles, qui veulent l'incorporer, l'assimiler, qui veulent en faire "une des leurs"

Au fil des séances elle parle de la nourriture qu'elle pése "à l'estimation" des matières grasses qu'elle n'utilise pas, des fruits, des légumes qu'elle se prépare en petites quantités, des petites assiettes à dessert qu'elle met à table pour s'obliger à se servir peu...
"infimes, petits, peu, sans, allégé, light.."
Puis elle vérifie si ce "régime" est adapté. La balance ne sert à rien me dit elle, c'est une question d'être serrée ou non dans les vêtements et aussi de l'image que je vois dans la glace car même si je rentre dans mes vêtements, je vois moi, les bourrelets qui sont laids, disgracieux, qui m'empêchent de me mettre en maillot ou de m'acheter de jolies sous vétements, d'être belle !

R souffre, elle souffre de son corps, qui ne répond pas à son désir non de perfection, non de maigreur, mais à ce qu'elle en attend. Aux formes qui doivent être les siennes. Celles qu'elle veut pour elle, et non celles que lui dicte la mode ou les publicités..Ou sa mère...
Alors elle est toujours dans le contrôle, de ce qu'elle mange, des formes qui se voient, des "bourrelets qui déforment" , des gonflements dus à la rétention d'eau pendant ses règles...De ces fluctuations "normales"
Au fil des mois, R fait le lien entre le poids familial et le poids de ses bourrelets...
Ces quelques kilos dont elle ne peut malgré tout ses efforts se défaire... Cette famille qui la bouffe, la dévore, l'engloutit, dont elle a honte parfois ,mais qu'elle aime parce que c'est la sienne...
R parle de son identité...
R part à la recherche de celle ci. Une identité qu'elle dit avoir niée, oubliée, pas vue. Mais qui l'a génée comme ces bourrelets ou ce "petit ventre" qu'elle voudrait gommer...
Une identité qui fait qu'elle n'était pas "comme les autres" que sa famille était "différente"
Petit à petit elle retrouve les élèments du puzzle éparpillé et tente de les remettre, ou de les mettre en place. De construire une histoire, la sienne.
Elle prend conscience que son histoire à elle se trouve au coeur de l'histoire des siens, de sa famille, des femmes de sa famille..
Elle réalise aussi que son histoire à elle est la sienne et pas la leur, qu'elle peut l'écrire. Elle, et non laisser aux autres le soin de le faire.
Ce n'est pas simple et bien des résistances s'invitent. La tentation d'abandon est aussi grande que de se gaver de sucreries, pour se" lâcher".
R continue à regarder son corps, l'observer avec plus d'indulgence, même si elle ne veut pas "grossir" "gonfler". Elle a envie de se sentir bien..
R dit aussi "je veux être une femme moderne, qui s'assume, mais je voudrai aussi être quelque part comme ma mère, ma grand mère, sans être comme elle, vous comprenez"
Partagé, tiraillé entre un passé et un futur, son présent est parfois un enfer.
Elle comprend aussi qu'elle ne peut pas revenir en arrière pour changer le passé, qu'il est ce qu'il a été...Qu'il lui faut avancer....Avec, c'est ce que la thérapie lui propose, lui permet, de comprendre ça..
Un long chemin a parcourir mais qui dit elle "'vaut le coup"...
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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