Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

dimanche 3 février 2008

Secret institutionnel

Jusqu'où peut-on parler de secret ?

Que peut-on mettre derrière ce mot, cette terminologie ?
Quelle représentation ?

J'ai parlé dans un article précédent du secret, du nom, du non révélé au sein d'une famille, d'un groupe, CE dont on sait qu'on sait qu'on ne sait pas.

Il n'y a pas un secret, mais des secrets ? Plusieurs secrets, plusieurs formes de secrets ?

C'est à la suite d'une conversation, sur ce sujet justement que j'en arrive à me poser cette question
Je n'y ai pas mis tout de suite le mot de secret, cela va au delà ...
Il y a du savoir, un savoir caché, tu, tué, non dit, jamais dit, mais qui a toujours été là, qui tel un brouillard épais enveloppe l'atmosphère plus ou moins feutrée d'un lieu.

Une sorte de consensus frauduleux, une sorte de "réglement interieur" mais interne, intérieur au sens que ce mot avait au XVII° siècle, intime, intime au groupe, au clan.
Qui fait justement que le groupe soit le groupe
Qui fait justement que le groupe soit soudé, que le groupe soit.

Alors, dans ces conditions, je ne sais pas si on peut parler de secret, si ce mot convient, mais ce mot, si on l'emploie, peut donner dans ces conditions une autre dimension à ce que j'ai observé et observe encore au sein des groupes, des microcosmes fermés. Hermétiques, imperméables, interdits à ceux qui n'en font pas partie ! Qui n'en sont pas.

Je m'appuierai pour le moment sur un lieu que je connais, pour y avoir excercé de longues années. Un espace fermé ouvert au public : l'hôpital.

Que s'y passe t-il ? Que se passe t-il dans ce lieu public (ou qui assure un service public : le soin, la santé). Y a -t-il un secret ? des secrets ? Une zone d'ombre ? plus obscure ?
Qui aurait une incidence sur le fonctionnement,
Qui susciterait une interrogation ?
Une interpellation de ma part ?

L'observation quasi quotidienne de sa dynamique, les plaintes, confidences, des patients, des personnels recueillies pendant toute ces années, le silences, les non-dits, l'ambiance, l'atmosphère qui y régne m'amènent à ces reflexions.

A l'hôpital très shématiquement il y a deux groupes (je ne parlerai pas des administratifs, des techniciens, qui ne sont pas directement confrontés aux malades) les soignants et les soignés.
Il y a forcément, du moins pourrait-on le croire, serait-on tentés de le croire, une rencontre entre ces deux là, à un et/ou des moments donnés.

Mais qui sont-ils ?

Les soignants : l'hôpital est le lieu où ils exercent leur métier : médecin, infimier, aide soignant, para-médicaux...
Ils travaillent là, ils viennent dans ce lieu pour ça. Ils ont appris les gestes, la technique, la pratique, la théorie qui leur permet d'exercer une fonction difficile : soigner, guérir, parfois sauver quand c'est possible. En échange d'un salaire
Ils sont payés pour ça.
Ils ont la connaissance, les compétences, le savoir
Ce sont des sachants.

Les soignés : En régle générale, ils n'ont pas demandés à être là, ils sont arrivés parce que l'hôpital est le lieu nécessaire à un moment donné de leur vie. Se soigner, recouvrer la santé, pratiquer des bilans, ajuster, suivre un traitement.

Une chose certaine, on observe un rapport qui n'est pas équilibré, pas forcément déséquilibré, mais pas sur le même plan.

On peut analyser ce rapport sous plusieurs formes
Demande /réponse
Offre/proposition
Présence/absence


Le rapport de force n'est pas le même selon qu'on se situe d'un côté ou de l'autre
Et ce côté est délimité, montré, indiqué, sans ambigüité
Blouse ou pas blouse, badge ou pas badge
Ainsi on sait qui est qui
Soignant blouse/patient pyjama

Pourtant, on ne devrait pas les opposer, même s'ils ne se complétent pas, tout en étant complémentaires. Car l'un a davantage besoin de l'autre. Encore que !


Un lien, une point commun : la maladie.

C'est autour d'elle que tout s'articule. Elle constitue le point de rencontre. Elle est l'origine de la rencontre, du rendez vous entre les deux.
C'est autour d'elle que tout va s'organiser, prendre forme, prendre corps..

C'est aussi autour d'elle que le "secret" va s'élaborer, se construire, prendre forme, et se transmettre...

Ce secret, ce mystère (au sens médiaval du terme) s'observe à la manière dont ceux qui ne sont pas (encore) malades par exemple, se comportent. Inconsciemment, plus ou moins sciemment aussi, c'est presque un automatisme, c'est même peut-être devenu un conditionnement.

Essayons de développer ça :

A l'hôpital donc la maladie est courante, elle est partout, elle est à sa place. C'est parce qu'elle est que l'hôpital existe, pour l'y acceuillir.
La maladie est familière. Ici.

Pourtant, je pense être en mesure d'affirmer, qu'elle fait davantage peur là plus que nulle part ailleurs.

Pourquoi ?

Peut-on avancer un " effet miroir" ?
Un miroir qui renvoie au soignant une image qu'il n'a pas vraiment envie de voir. Une image peu flatteuse.
"Miroir, miroir, dis moi que je suis belle, que je suis la plus belle ?"

Mais ce miroir là, ne renvoit pas cette image là. Ce qu'il renvoit ne plait pas, pire ! Ce qu'il renvoit est terrifiant !

Projection de ses propres peurs, angoisses, de sa propre maladie possible, de sa propre fin certaine un jour, de sa propre déchéance sûrement, de notre finitude à tous.....

C'est ce qu'on peut voir dans ce miroir, dans cette image du patient, du corps allongé dont il faut malgré tout prendre soin, parce que c'est le travail du soignant, il est payé pour ça, même s'il a fait ça par vocation (il vaut mieux, car les conditions de travail et les salaires sont loin d'être motivants)... Mais la maladie, la douleur, tous les jours, tout le temps, c'est usant.

Et c'est là que ça devient crucial, et j'emploie le mot à dessin, à dessein..

Car si chacun porte sa croix, c'est sûrement le patient qui porte la plus lourde, et nul soignant ne veut, ni ne peut l'en décharger. Même si parfois, peut-être il voudrait bien.

Il se mure dans le silence, dans l'indifférence. Pas une once de compassion, je ne parle pas d'empathie..
Il se mure derrière sa cuirasse, sa blouse de coton blanc et son badge témoin garant, de son appartenance à l'autre côté, celui des vivants, des biens portants, de ceux qui vont sortir après, qui vont rentrer chez eux, qui feront leurs courses, retrouveront leur famille, leur lit....

C'est bon d'être vivant !
Cette sensation il faut l'avoir éprouvée, vraiment !
C'est une prise de conscience exceptionnelle, rassurante, nécessaire après avoir cotoyé la douleur, la maladie, la mort. Ca fait un bien fou !

Pour survivre à ça, pour vivre au milieu de cet enfer (car ça l'est parfois)
Il faut se protéger, que dis-je s'immuniser, s'enfermer dans cette cuirasse pour avancer, continuer à faire ces gestes, ces rituels.... Etre efficace !

Avoir un geste, une parole un regard vers le patient peut tout faire basculer, immédiatement, peut tout remettre en cause, peut annuler les certitudes ! Peut mettre en danger.

Voir le malade autrement que comme un malade, mais comme un autre soi, un sujet, mais un
Sujet souffrant serait abaisser définitivement son système immunitaire, ce serait être contaminé... Condamné !Porte ouverte, faille béante, vide angoissant !

Alors on se défend, on se protége, bravement, comme on peut, avec les moyens qu'on à...

On est protégé, par une blouse, un badge, on est à peu près à l'aise avec la maladie, le microbe, le virus, les médicaments, la chimio. On a appris tout ça en cours, dans les manuels.
Pas de secret que tout ça pour les soignants.

Mais voilà, à l'hôpital, la maladie est bien réelle, elle se montre à voir en chair et en os... Sous la forme des malades.
Elle est vivante. Elle crie, elle souffre, elle transpire, elle pue, elle appelle, elle interpelle !

Si on est à l'aise avec la maladie, on l'est beaucoup moins avec le malade.
Qu'on aimerait bien ne pas voir, ou pas trop, du moins sous la forme d'un sujet. Voir en lui un sujet qui souffre apparait peu à peu insupportable.
Mais il faut cependant faire, continuer de faire, et de faire avec.
Quelle solutions pour ce faire ?

Alors, on le déshumanise quelque part....
De sujet il devient objet, porteur de maladie, de virus,de microbes, de saloperies...

Que le soignant il n'a pas.
Pour soigner ce corps, que nous avons nous soignant pris soin de vider de son caractère, de son essence de sujet, il apparait nécessaire de le réduire au statut de corps objet.

Un corps qui n'a pas d'âme, un corps sujet à discussion de la maladie, à traitement. Mais pas un sujet.
Un corps qu'on ne voit même pas, qu'on lave, qu'on habille sans le regarder, comme un pantin désarticulé, qu'on manipule, qu'on soulève, qu'on habille, déshabille, pique, lave, change.
Sur les cahiers de transmission, sur les dossiers il est courant de lire, qu'il faut faire le dos de M. X ou Mme Y, ce qui signifie que cette personne ne peut convenablement se laver.

Il convient aussi de relever "faire", à l'hôpital combien de fois ais-je entendu ce verbe. On "fait " un malade, comme on fait le lit, la vaisselle, les médicaments, le couloir...

Fait-on un sujet ?
Quid de ce vocable ?
Quand en groupe de paroles, il m'arrivait de relever le mot. De m'y arréter simplement, je suscitais une interrogation de la part des soignants, qui ne réalisaient pas l'incongrüité de leur discours "on a toujours dit comme ça!"

Et là on se protége, on n'est un peu protégé. On peut "faire" avec, laver ce corps qu'on ne voit pas, sans émotion et sans affect. Sans le regarder, en discutant de sa soirée avec la collègue qui aide à soulever ce corps si lourd.
Les infirmières parlent entre elles en branchant une perf, ignorant le sujet, alité, qui n'existe pas, il suffit de ne pas rater la veine.
Un peu comme on parle devant les domestiques.... Qui ne voient pas, n'entendent pas . Relégués au rang d'objets, ils sont transparents !!!!!

Et puis on peut se rassurer aussi : "ça n'arrive qu'aux autres".
Sous entendu pas à moi...On est du bon côté... Celui des vivants !

On fait partie d'une caste, une secte, celle qui sait. On appartient au bon groupe.

Une sorte de super manne sachant soigner une maladie...
Ca ne marche pas toujours, parce qu'on sait quand même qu'un corps, même et surtout malade est tout sauf un objet. L'être est un tout, un corps et un esprit. Plus encore dans ce cas précis.

C'est un sujet en souffrance, méritant plus d'attention et...
MAIS et je ne dirai ni non mais, ni oui mais, seulement MAIS.

C'est l'autre, l'autre qu'on ne connait plus, qu'on ne reconnait pas...que l'on ne reconnait plus, qui nous est étranger, que nous faisons ainsi étranger, à nous mêmes....

Ca n'arrive qu'aux autres !
Et si par malheur, hasard etc...un des membres de la secte, de la bonne caste, du bon côté de la barrière, un qui porte la blouse est malade, transgresse, franchit la ligne jaune ?
TRAHISON
Et on le rejette, il ne fait plus partie, du groupe, il a trahi. Trahi le secret, ce qui soude le groupe, qui fait le clan. Il a en quelque sorte, fait voler en éclat des certitudes, des assurances, des repères, un cadre, des limites.
N'a t-il pas prouvé, démontré, à nous soignant bien portant qu'on peut être touché, atteint, qu'on est pas à l'abri, que la blouse, le savoir, la connaissance ne nous protége pas.

Que nous sommes mortels !
Confrontés à la même solitude et finitude que ceux qui crévent au fond de leur lit dans d'atroces souffrances ?
C'est insupportable, c'est terrifiant !
C'est insupportablement terrifiant !On ne veut pas ! on ne supporte pas ! on déni ! on refuse ! on ne voit pas !
Alors on rejette ce mauvais sujet, celui ci qui n'a rien compris, qui de suffisamment bon ou à peu près bon est devenu mauvais, du moins relativement mauvais.

Il ne reste plus qu'à le laisser sur le bas côté, le laisser crever doucement...Il peut y avoir un rejet massif, ou quelque chose de plus pervers..
Il ne peut plus faire partie de notre groupe même s'il guérit, car il a trahi, il a montré la faille, celle où le mal peut s'engouffrer, une faille qui sûrement est là, latente, chez chacun d'entre nous.. Qui peut s'ouvrir, s'entrouvir on ne sait pas quand, qu'en...
Et la maladie insidieuse, le virus, le microbe aller de l'avant et...ON n'en veut plus jamais !!!!! Dehors ! Raus !

Il a trahi ! Rompu le secret, cassé brisé le silence, trahi les siens ! il a failli !L'homme est peu de chose n'est-ce pas ?
La vie ne tient qu'à un fil !
Secret institutionnel, certes, mais aussi et surtout perversité institutionnelle !

mots dits maudits

On ne se demande jamais assez ce que les mots peuvent faire sur l'autre, sur celui qui en est destinataire, volontairement ou involontairement

Celui qu'on fait destinataire de notre message, et celui qui ne l'est pas forcément, mais qui nous lit ou nous entend
Celui à qui notre message n'est pas forcément destiné.

On ne se demande pas assez non plus ce que l'autre peut faire de nos mots ?
Celui qui en est destinataire ou celui qui ne l'est pas.

Comment il les entend, comment il les comprend ?

C'est un des mystères de la communication.
Pourtant le mot et la parole sont pour certains essentiels dans l'échange que l'on fait avec nos pairs
Ce serait oublier le silence
Silence mal entendu, souvent, quelque fois, parfois, des fois...
Silence malentendu....
Mal entendu le silence...


Les mots dits, peuvent être mal dits, maudits
Mal dits par soi, maudits par l'autre.
Maudits par soi, mal dits par l'autre

Ca te fait quoi quand je te dis ça ?
Comment l'entends tu ?
Mais surtout comment le ressens tu ?
C'est une carresse ? qui effleure ta main, ton visage ? ton corps?
C'est une gifle ? Que tu reçois, que tu essuies, que tu n'attends pas ? que tu n'entends pas ?
Ca te fait quoi ?
Du bien ? du mal ? de la tendresse ? de la violence ?

Entends tu ce mot comme moi je l'entends ? En avons nous la même représentation ? Pas tout à fait c'est impossible, chacun est unique, et fait par conséquent du mot de l'autre, le sien, l'autre sien.
Du mot de l'autre unique pour lui, le mot de soi, unique pour l'autre

Mais que c'est compliqué ? on ne alors plus parler ?
On parle, on communique, on échange, et on se comprend mal, ou pire on ne se comprend pas, on ne se comprend plus, on s'est mal compris, on ne s'est pas entendu... On s'est mal entendu.

Mal entendu pour un malentendu permanent, qui dure mais ne dure pas vraiment.
Mots dits mal entendus, maudits malentendus !

Castor
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